SDW-801/3





CONSULTATION DE HAUT NIVEAU
SUR LES FEMMES RURALES ET L'INFORMATION

Rome, 4 - 6 octobre 1999

PARITÉ ET RÉGIME FONCIER

Table des matières

I. INTRODUCTION

II. ÉVOLUTION RÉCENTE DE LA RÉFORME ET DE LA RÉGULARISATION DES RÉGIMES FONCIERS EN MATIÈRE DE POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT

III. IMPORTANCE DE LA PRISE EN CONSIDÉRATION DES QUESTIONS DE PARITÉ EN MATIÈRE DE RÉGIME FONCIER

IV. LES INFORMATIONS DONT LES DÉCIDEURS DOIVENT DISPOSER SONT-ELLES AISÉMENT DISPONIBLES ?

V. POURQUOI UN ACCÈS ÉQUITABLE À LA TERRE N'EST PAS SUFFISANT


I. INTRODUCTION

1. Le présent document1 s'efforce de mettre en évidence les questions de parité concernant le régime foncier et l'administration des terres qui nécessitent un cadre de politique générale permettant de faire face aux problèmes de développement et à l'évolution démographique que connaissent les sociétés rurales. La croissance démographique, le développement des villes et la migration ont eu pour effet de modifier progressivement les caractéristiques de sexe et d'âge de presque toutes les communautés rurales du monde. Les récents travaux de la FAO ont permis de constater qu'il n'est pas rare que les ménages dirigés de facto par des femmes constituent une proportion importante (25 pour cent ou plus, voire une majorité) des ménages ruraux totaux dans certaines zones et que dans le monde, les femmes représentent plus de 40 pour cent des actifs agricoles - phénomène que l'on observe dans toutes les régions de la FAO et qui s'accentue. Les causes n'en sont pas du tout inconnues et tiennent à l'insuffisance des investissements et des possibilités d'emploi pour les personnes vivant en zone rurale. Les centres urbains ont été "le moteur" de la croissance dans tous les États Membres de la FAO. L'exode rural a "chassé" les hommes des activités rurales et des communautés rurales, bien davantage que les femmes. Les profils démographiques ruraux montrent que cet ajustement à l'évolution économique et aux possibilités d'emploi est dominé par les femmes ou les enfants (ainsi que par les personnes âgées/retraités).

2. Ces faits sont bien connus et ont été examinés lors de débats de politique générale par les participants à cette consultation. Le récent Sommet mondial de l'alimentation (Rome, 1996) a souligné que pour répondre aux besoins en aliments de base de la population mondiale projetée (Conférence internationale sur la population et le développement, le Caire, 5-13 septembre 1994) ainsi que pour venir à bout de la famine qui frappe quelque 800 millions de personnes, nous devons accroître et améliorer la production et la répartition des denrées alimentaires. La deuxième Conférence des Nations Unies sur les établissements humains (Habitat II), qui s'est déroulée à Istanbul en juin 1996, a néanmoins souligné que ce sont les centres urbains qui attirent les investissements ainsi que les personnes. La majorité de la population mondiale vivra bientôt dans les villes - tendance qui ne cesse de s'accélérer.

3. Les répercussions de cet état de fait sur les politiques foncières sont claires. Les populations rurales seront appelées de plus en plus à fournir davantage d'aliments de meilleure qualité à partir de ressources en terre qui diminuent régulièrement, des millions d'hectares de bonnes terres agricoles étant perdus chaque année en raison de l'expansion des villes et des sites industriels ainsi que de la détérioration de l'environnement. Par ailleurs, la responsabilité de relever ce défi incombe aux communautés rurales où prédominent souvent les familles dirigées de facto ou de jure par des femmes et les enfants. Dans les familles dirigées par les hommes, les femmes sont souvent responsables de la production vivrière, tandis que les hommes se consacrent aux cultures de rapport. Le rôle des femmes dans la production vivrière ne se limite pas à la fourniture de main-d'oeuvre et englobe d'importantes responsabilités d'organisation du processus de production - recrutement de main-d'oeuvre supplémentaire et location de services mécanisés ainsi que stockage, vente ou contrôle de l'utilisation de la récolte. Autrement dit, elles sont "agricultrices en propre".

4. Un sommet récent des Nations Unies a appelé l'attention du monde sur l'autre élément essentiel de cette question politique brûlante. Le Sommet sur les femmes2 a démontré sans ambiguïté que dans la plupart des sociétés actuelles, les femmes n'ont pas un accès équitable aux terres rurales et à leurs ressources (eau, plantes ligneuses, ressources halieutiques, etc.) et n'ont pratiquement aucun contrôle sur celles-ci.

5. Par conséquent, il n'est guère envisageable de pouvoir atteindre l'objectif du Sommet mondial de l'alimentation qui est de réduire de moitié le nombre de personnes gravement sous-alimentées d'ici à 2015, sans aborder le problème de la nature des droits d'accès et de contrôle des femmes sur ces ressources rurales. Tout d'abord, la production vivrière est une initiative de longue haleine qui nécessite sécurité matérielle et juridique pour les producteurs agricoles, hommes ou femmes. Une utilisation efficace des ressources exige également un accès équitable et sûr aux infrastructures et aux services essentiels - irrigation, transport, éducation, crédit/services et marchés financiers - qui sont la condition essentielle d'une utilisation efficace des terres et d'une amélioration des technologies agricoles.

6. Reconnaissant la complexité du problème, nous nous efforçons ici de cerner les principaux éléments de l'élaboration de politiques foncières équitables compte tenu du rôle de plus en plus important que les femmes jouent dans la production vivrière et la gestion des ressources rurales, ainsi que les principaux types d'information nécessaires pour fixer de nouveaux objectifs fondamentaux. Le présent document est axé sur la justification du renforcement des droits des femmes à la terre et aux autres ressources naturelles et sur les possibilités d'une telle action; pour cela il met en évidence:

II. ÉVOLUTION RÉCENTE DE LA RÉFORME ET DE LA RÉGULARISATION DES RÉGIMES FONCIERS EN MATIÈRE DE POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT

7. Des modèles très différents de régimes fonciers et de répartition des ressources rurales ont été au coeur de toutes les transformations sociales, économiques et institutionnelles de ce siècle, allant des coopératives et des exploitations collectives à la privatisation et des petites exploitations aux agro-industries multinationales. Chacun de ces systèmes socio-économiques a donné, à des degrés divers, de bons et de mauvais résultats lorsqu'il a été appliqué aux différentes conditions locales. Les enseignements que nous en avons tirés sont en gros les suivants:

8. Non seulement les récentes recherches concernant les relations entre les droits de propriété et l'utilisation efficace des droits correspondants, ont modifié radicalement notre connaissance de la dynamique du développement durable, mais elles sont aussi le fondement des modèles actuels de croissance économique et de bonne gestion des affaires publiques. Cela n'est pas tellement surprenant étant donné que les sociétés qui ont des droits de propriété bien établis sont aussi celles qui sont florissantes au point de vue économique et social.3 Les concepts et les outils technologiques et juridiques servant à étayer et renforcer les droits existants et les nouveaux droits découlent de l'expérience acquise depuis deux cents ans. Les dispositions institutionnelles sont notamment le cadastre et les systèmes cadastraux, les systèmes d'évaluation et de taxation, la planification et le contrôle de l'utilisation des terres, ainsi que d'autres mécanismes nécessaires pour assurer l'efficacité des marchés fonciers et du crédit.

9. On notera toutefois une grande confusion parmi les spécialistes du développement qui n'ont pas suivi l'évolution très rapide de la situation depuis 25 ans, quant à l'utilité d'inclure et de promouvoir, dans les modes d'administration foncière modernes, les systèmes fonciers dits "coutumiers" ou "traditionnels"4. L'utilisation actuelle du Système d'information sur les terres (SIT) fondé sur la représentation des infrastructures par des données spatiales permet de traiter les droits fonciers traditionnels aussi facilement que les accords contractuels commerciaux concernant l'utilisation des terres. Le point essentiel de cet examen est que lorsqu'on examine la régularisation des statuts d'occupation, rien ne permet de penser que les formes traditionnelles ne peuvent pas être traitées facilement. L'utilisation du terme "actuel" dans ce cas concerne la technologie d'enregistrement et de cession des droits, et non pas un recours particulier à un modèle culturel ou juridique donné pour la définition de ces droits5. Cependant, une mise en garde est de rigueur. Les systèmes fonciers traditionnels s'adaptent souvent plus lentement et plus difficilement à l'évolution rapide du marché/de l'économie d'aujourd'hui que les systèmes "modernes" fondés sur les droits écrits, d'autant plus que ces derniers bénéficient d'un mécanisme de mise à jour qui est absent dans les systèmes traditionnels non écrits, c'est-à-dire l'introduction de lois, décrets et nouvelles dispositions juridiques qui tiennent compte des pratiques sociales existantes. Cela permet une institutionnalisation plus rapide de la gestion des droits et obligations correspondants par les membres de la société pour l'utilisation et la possession des ressources. Par conséquent, la réforme des politiques foncières associant les institutions traditionnelles ou coutumières a plus particulièrement besoin de faire appel à des approches participatives.

10. Les droits de propriété ne peuvent pas jouer un rôle économique important lorsque les moyens institutionnels permettant d'utiliser ces droits pour renforcer les activités humaines sont insuffisants ou absents. D'ailleurs, la demande générale de droits sûrs et non équivoques aux ressources rurales a rendu prioritaire pour chaque État Membre de la FAO l'amélioration de ses systèmes administratifs fonciers actuels. Ainsi, la rationalisation des procédures et mécanismes administratifs, juridiques et techniques, en particulier la gestion de l'information sur les terres grâce aux techniques de cartographie et d'informatisation du cadastre, est devenue une priorité dans tous les pays représentés à cette Consultation.

11. Naturellement, l'un des liens les plus forts entre l'action gouvernementale et le développement est l'aptitude à assurer un accès harmonieux aux biens et aux ressources naturelles de la société. C'est d'ailleurs la nature des relations sociales, politiques et économiques déterminant qui possède quel droit et sur quelle ressource, pendant combien de temps, et pour quelle utilisation, qui caractérise les institutions foncières. Celles-ci ont besoin d'un appui vigoureux de l'État pour favoriser la bonne gestion et la participation démocratique grâce à une large répartition des droits de propriété. L'accès aux ressources et en particulier l'accès aux ressources foncières, adapté aux spécificités des sexes, des ethnies et des classes, est à la fois une incitation essentielle et un mécanisme indispensable pour renforcer la participation démocratique parce que les droits de propriété confèrent aux individus ainsi qu'à leur famille et aux ménages les capacités sociales, économiques et juridiques qu'ils ne peuvent sans cela obtenir. Cette capacité accrue des ménages ruraux est indispensable dans la quête de la sécurité alimentaire.

12. Pour que la priorité actuellement accordée à la décentralisation de la gestion des ressources puisse permettre d'atteindre les objectifs de développement souhaités, les populations locales doivent avoir les moyens requis pour entreprendre de nouvelles activités sur les terres. C'est pourquoi il faut que les décideurs et les experts techniques continuent à mettre l'accent sur les ménages et sur chacun de leurs membres. Cependant, comme on l'a vu précédemment, la structure familiale évolue rapidement dans presque toutes les sociétés, mais quelles que soient les nouvelles formes qu'elle prend - du noyau familial de base aux familles élargies et aux vastes communautés - la famille restera l'unité économique et sociale fondamentale du développement6.

13. L'un des tristes enseignements que l'on peut tirer de plus de 50 ans d'expérimentation de différents modèles d'agriculture d'État, collective et commerciale, est qu'elles ne peuvent remplacer l'exploitation familiale [au sens large utilisé dans le présent document] lorsqu'il s'agit de parvenir à une production suffisante de produits alimentaires de base7. Cela tient à ce qu'on appelle la densité de gestion disponible dans les ménages des exploitations familiales. Néanmoins, la mesure dans laquelle les familles souhaitent réaliser leur potentiel de densité de gestion dépendra dans une très large mesure du type de régime foncier dans lequel elles opèrent. Les politiques doivent veiller à ce que l'unité du ménage (et les hommes et les femmes qui le composent) ait un accès garanti aux moyens de production et/ou à l'emploi dont dépendent ses stratégies en matière de revenu et de sécurité alimentaire. Étant donné que les salaires sont souvent saisonniers et constituent un revenu d'appoint dans les régions d'agriculture de subsistance de nombreux pays en développement, il est capital pour la sécurité économique d'assurer un accès équitable à la terre et à ses avantages à toutes les familles (y compris les agriculteurs urbains).

14. Une bonne administration foncière doit non seulement assurer la rentabilité économique mais aussi garantir des politiques foncières respectueuses de l'environnement. La bonne gestion des terres résulte du respect de certaines normes de mise en valeur, qui nécessite à son tour des responsabilités clairement définies, et ces responsabilités découlent des droits eux-mêmes. La façon dont les droits de propriété et, partant, les responsabilités en matière de terre et de ressources naturelles, sont répartis dans une société a des répercussions écologiques importantes. Si des couches de la société (catégorisées par sexe, classe ou ethnie) ne peuvent avoir un accès sûr à la terre, les besoins individuels et familiaux à court terme vont l'emporter sur les objectifs de durabilité à long terme. Il n'y aura guère d'incitation à investir dans la terre et à la gérer de façon durable. "La durabilité régie par la loi" (par exemple par des lois s'opposant au déboisement et au surpâturage) va rapidement être supplantée par des décisions de facto opportunistes et à courte vue, au plan local. Ce phénomène est illustré par les collines dénudées qui ont été déboisées par des agriculteurs sans terre à la recherche de moyens de subsistance. La plupart des pays ont appris que si l'on accorde une sécurité foncière à ces agriculteurs, ils deviennent réceptifs et prêts à coopérer pour la mise en place de systèmes de production agroforestiers polyvalents.

III. IMPORTANCE DE LA PRISE EN CONSIDÉRATION DES QUESTIONS DE PARITÉ EN MATIÈRE DE RÉGIME FONCIER

15. Traditionnellement, toutes les sociétés agraires ont élaboré des moyens institutionnels de reconnaissance et de défense des droits des femmes aux avantages tirés des terres agricoles. Ces droits et obligations institutionnalisés ont été définis par le droit religieux et coutumier, ainsi que par la législation et les tribunaux. Mais bien souvent la législation traditionnelle ne peut suivre l'évolution rapide des conditions sociales et économiques examinées dans la présente étude. La structure sociale traditionnelle doit s'adapter constamment pour soutenir les nouvelles unités familiales, non traditionnelles, dans un environnement qui évolue rapidement. Par exemple, de récentes recherches appuyées par la FAO ont montré que plus de 60 pour cent du revenu disponible des ménages agricoles au Sahel sont assurés par des emplois non agricoles; des tendances analogues ont été signalées en Amérique latine. En Asie, cela s'accompagne souvent d'un exode de longue durée des femmes qui partent travailler comme domestiques. La survie économique et matérielle, ainsi que l'investissement dans des techniques agricoles améliorées, sont tributaires d'une division géographique des ressources humaines essentielles du ménage entre la communauté d'origine (femmes, enfants et personnes âgées) et d'une migration de la main-d'oeuvre vers des centres urbains ou industriels. Il est difficile de maintenir l'équilibre délicat entre les valeurs traditionnelles et les exigences du développement économique. Les traditions foncières et leurs institutions ne font pas exception.

16. Ainsi, les nombreuses pressions nouvelles qui s'exercent sur les mécanismes traditionnels et affectent les femmes et le régime foncier doivent être comprises et résolues au sein de la famille, de la communauté, du pays. En gros, les pressions les plus fortes sont les suivantes:

17. Une des nombreuses conséquences de ces facteurs est citée au début de cette étude: dans un nombre croissant de districts ruraux, il y a une augmentation rapide du nombre de familles rurales qui sont dirigées de facto ou de jure par des femmes8. Nombre de ces femmes sont des parents seuls, des veuves, des divorcées, des femmes de travailleurs migrants, des personnes âgées et des infirmes, c'est-à-dire qu'elles font partie des groupes qui comptent le moins dans la société. La majorité d'entre elles n'ont pas de véritable pouvoir de décision, n'ont pas non plus leur mot à dire dans la gestion de la communauté et, de plus en plus, n'ont pas, selon le droit traditionnel, de sécurité en tant qu'individu. Les tentatives d'affirmation de leurs droits peuvent entraîner des conflits dans la communauté, voire au niveau national. Trop souvent, les droits qu'elles peuvent avoir dépendent du bon vouloir du père, des frères, de la belle-famille, ainsi que des chefs traditionnels qui, dans un monde économique en évolution, ne donnent pas nécessairement la priorité à l'intérêt bien compris d'une femme et de ses enfants. Les femmes seules, divorcées ou veuves peuvent finir par dépendre du bon vouloir de membres éloignés de la famille qui peuvent être disposés ou non à les aider. Cela montre bien qu'il importe de comprendre les divers mécanismes qui sont à l'origine des différents types de ménages dirigés par des femmes que l'on trouve dans un cadre social donné et leurs relations avec les divers types d'accès aux ressources. Cette situation nécessitera des interventions différenciées.

18. Les règles en matière d'héritage peuvent priver les femmes qui ont de l'initiative ou qui ont étudié des ressources nécessaires pour exercer un métier ou pour lancer une entreprise. Même lorsque les femmes investissent dans les terres qu'elles exploitent depuis toujours (en installant un système d'irrigation ou en construisant un logement), elles peuvent en être rapidement dépossédées sans recours devant les instances judiciaires. Ainsi, pour que l'agriculture attire et retienne les compétences de chefs d'entreprise et les investissements des femmes rurales, il faut que celles-ci aient accès au même type de protection que les hommes dans les institutions de régularisation des statuts d'occupation9.

19. On peut baser la nécessité de droits plus équitables à la terre, sur le fait que les femmes représentent une part croissante du capital économique et social local et national, outre leur rôle primordial dans la subsistance de la famille. Il a également été démontré que les femmes tendent à réinvestir davantage de ressources dans l'unité familiale que les hommes et que ce réinvestissement est la pierre angulaire de la nutrition, de la santé, de l'éducation et d'une lutte efficace contre la pauvreté. Ainsi, de récentes études menées à la fois dans les pays développés et dans les pays en développement ont montré que le taux de réussite des petites entreprises rurales et urbaines lancées par des femmes est sensiblement plus élevé que celui des entreprises lancées par des hommes. C'est pourquoi les banques et le secteur des services commencent à appuyer, plutôt qu'à contrecarrer, les initiatives des femmes; c'est dans leur intérêt de soutenir les femmes chefs d'entreprise. De même, il est de l'intérêt d'un pays d'investir dans les couches de la société qui assurent un développement durable.

20. La capacité sociale, économique et juridique accrue que confère une participation pleine et entière aux institutions foncières stimule la participation à des associations de commercialisation, coopératives et programmes de vulgarisation qui profitent aux personnes et à la société en général. Les capacités de gestion des femmes peuvent être mieux reconnues et cela, à son tour, peut se traduire par de nouvelles activités productives et de nouvelles entreprises. La réduction des incertitudes concernant les droits des femmes à la terre peut aussi ouvrir de nouvelles possibilités de crédit et de financement, valorisant ainsi les activités de développement locales et nationales.

21. L'ensemble des droits de propriété foncière peut être étendu à l'infini. Par exemple, chaque fois qu'une municipalité adopte une réglementation sur l'utilisation des terres, elle ajoute en fait un droit de propriété à la communauté. Les moyens de renforcer l'équité, la sécurité et la réalité des droits des femmes sans en priver d'autres groupes sont notamment (mais pas exclusivement) les suivants:

Un rôle actif dans la communauté internationale

22. Tous les pays font aujourd'hui partie d'une communauté internationale unie par les télécommunications, les transports, les réalités économiques et les relations politiques. Les États Membres des Nations Unies ont reconnu la nécessité de défendre et d'affirmer les droits des plus faibles au sein de cette communauté, qu'il s'agisse de pays enclavés souhaitant une part des ressources maritimes mondiales, de réfugiés ayant fui la guerre et la famine, ou encore de groupes de population comme les femmes, les enfants et les peuplades indigènes qui, traditionnellement, participent peu aux processus nationaux de prise de décision. De nombreux États Membres ont signé, voire ratifié, des déclarations et des conventions internationales telles que le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, qui reconnaissent la nécessité de l'égalité des droits pour les femmes. Chaque avancée dans la voie d'une harmonisation et d'une intégration véritable des femmes est aussi un pas en avant dans la promotion de tous les citoyens.

IV. LES INFORMATIONS DONT LES DÉCIDEURS DOIVENT DISPOSER SONT-ELLES AISÉMENT DISPONIBLES ?

23. Nul n'ignore que les politiques de développement doivent reposer sur des informations exhaustives. L'information est aussi à la base du consensus nécessaire pour une mise en oeuvre efficace et démocratique des politiques d'intérêt général. Cependant, beaucoup d'informations manquent encore dont les décideurs auraient besoin pour:

24. La présente section donne un aperçu des types d'informations ou de connaissances qui seraient utiles pour remplir ces objectifs. Chaque sous-section inclut une brève évaluation des difficultés rencontrées pour obtenir et utiliser ces informations, ainsi que des recommandations visant à améliorer les sources d'information.

Connaissance des questions de parité dans les types de structure et le marché fonciers

25. Il est nécessaire de disposer d'informations sur les types de droits que les femmes et les hommes ont et les types de transactions et d'usages des terres, en tenant compte des différences ethniques et géographiques. Les informations les plus utiles concernent l'âge et l'importance des activités agricoles urbaines/péri-urbaines, ainsi que la participation des femmes aux marchés fonciers informels, au métayage, à la cession à bail et aux autres transactions. La connaissance des arrangements informels peut être aussi importante, sinon plus, que les informations formelles sur les lois et les pratiques officielles. En matière de développement rural, il serait utile d'encourager la recherche systématique des arrangements existants qui favorisent déjà l'accès des femmes aux ressources et à leur gestion.

26. C'est l'information la plus difficile à obtenir: tout d'abord, parce que les arrangements officiels et officieux sont surtout des accommodements locaux non documentés et deuxièmement parce que des indicateurs internationaux exhaustifs décrivant la grande variété des systèmes fonciers et des transactions n'existent pas. Les études de cas et les évaluations de la parité incluent parfois des informations sur le nombre de titres de propriété, le nombre de transactions enregistrées ou même le nombre de ménages dirigés par des femmes. Mais cela ne constitue qu'une information partielle et souvent trompeuse. Les problèmes qui se posent sont dus, par exemple, au fait que:

27. Par ailleurs, les études de cas et les évaluations de projet ont l'inconvénient de ne représenter qu'une photographie d'une situation à un moment donné et dans un lieu déterminé et sont donc difficiles à utiliser pour analyser des situations, des tendances et des problèmes nationaux qui évoluent sans cesse.

28. Stratégie future. Il est nécessaire que des recherches approfondies soient effectuées sur des indicateurs importants et fiables du régime foncier, ventilées par sexe, ainsi que par âge, groupe ethnique ou religieux, zone géographique et situation de famille, qui puissent être testés et utilisés pour des analyses statistiques et des recensements nationaux, ainsi que pour des études plus générales. La FAO a entrepris des activités dans ce sens sous forme d'études de cas ainsi que d'un examen préliminaire de la manière d'identifier et de mesurer les avantages qualitatifs et quantitatifs des régimes fonciers. Ces indicateurs doivent être exprimés simplement pour être facilement compris par les personnes interrogées et par les chercheurs.

Connaissance des obstacles juridiques, économiques et culturels

29. Une façon de collecter ces informations consiste à examiner l'ensemble des lois sur la propriété, ainsi que toutes les procédures d'acquisition, de transfert, d'hypothèque et d'application des droits fonciers - la "loi en action". Cette étude sera complétée par une analyse des marchés fonciers et des ressources socio-économiques générales dont disposent les femmes pour avoir accès à la terre, pouvoir l'utiliser et en tirer profit. Il faudra déterminer les obstacles juridiques et pratiques entravant l'accès à la terre et aux ressources complémentaires et les difficultés que rencontrent les femmes en particulier. Dans de nombreux cas, les obstacles peuvent être indépendants du sexe. Les informations tirées de cette analyse doivent inclure:

30. Certains pays ont effectué de telles études (mais pas nécessairement axées sur la parité) lorsqu'ils ont entrepris de grands programmes de réforme juridique ou économique. Même si ces informations ont été recueillies à des fins différentes, elles pourront servir aussi à déterminer les obstacles éventuels, du point de vue de la parité.

31. Stratégie future. Les pays qui décident d'entreprendre des études en vue de programmes économiques, juridiques ou sociaux doivent veiller à ce que la parité soit un des indicateurs d'impact utilisés pour mener ces analyses qui serviront aussi pour les projets de réforme agraire.

Connaissance des différentes options de politique générale et de leurs répercussions

32. Il existe peu de documentation systématique sur les différentes options de politique générale permettant d'aborder les problèmes d'accès des femmes à la terre. La documentation qui existe concerne soit des projets soit des cas particuliers ou bien elle se compose essentiellement de textes et d'articles présentant des solutions pour améliorer la sécurité des droits fonciers sans référence spécifique à la parité. Il faut mettre au point une structure permettant d'identifier et d'évaluer toutes les options possibles, reposant également sur les bonnes pratiques et les enseignements tirés, pour venir en aide aux décideurs. Dans certains cas, ces options seront centrées sur un pays ou même sur une région, mais un cadre présentant des options générales serait également une référence utile.

33. Les critères d'évaluation, permettant de déterminer les meilleures options pour accroître l'équité en ce qui concerne les femmes et les hommes défavorisés, sont notamment les suivants:

34. Un effort de recherche participative intégrée est probablement le meilleur moyen de mettre en place une telle série d'options avec des exemples de critères d'évaluation. Ces options reposeront sur un examen des résultats qui ont pu être obtenus, ou qui n'ont pas pu l'être, dans d'autres pays et des raisons pour lesquelles ces options ont fonctionné, ou n'ont pas fonctionné.

Évaluation à posteriori des projets et des études de cas

35. Un des problèmes habituels des projets de développement dans le domaine foncier est dû au fait que les expériences sont renouvelées sans savoir si les projets antérieurs et les méthodologies employées ont donné des résultats, et dans le cas contraire, sans connaître les raisons de cet échec. Les projets doivent être suivis pour contrôler leur incidence et leur durabilité non seulement durant l'exécution mais aussi à intervalles réguliers par la suite. Ces évaluations doivent reposer sur des critères objectifs qui puissent aider à élargir l'expérience internationale ainsi qu'à améliorer les programmes et les projets en cours dans le pays. Les résultats doivent être enregistrés officiellement et mis à la disposition de ceux qui sont responsables des décisions concernant les politiques et les programmes futurs sous une forme qui leur permette de comprendre aisément ce que l'on a essayé de faire et les résultats que l'on a pu obtenir.

36. Les évaluations de projets orientés sur les questions de parité manquent généralement d'indicateurs objectifs et de critères d'évaluation. Trop souvent, ceux-ci ne sont pas spécifiés clairement dans le mandat ou les objectifs initiaux du projet. Il peut donc en résulter une évaluation subjective visant une seconde étape ou une étude supplémentaire.

37. Les spécialistes du développement doivent continuellement sensibiliser les femmes aux normes et aux pratiques existantes favorisant leur utilisation des ressources. En attendant, les coûts en production, revenu et bien-être de la famille, résultant des inégalités entre les deux sexes en ce qui concerne l'accès aux ressources et les avantages tirés de celles-ci, doivent être clairement expliqués aux hommes qui sont membres des communautés rurales.

38. Les organisations non gouvernementales, les instituts internationaux de prêts et tous les autres donateurs doivent mettre davantage en lumière ce que les projets fonciers visent à obtenir en ce qui concerne la parité, sur les répercussions éventuelles des projets, les enseignements tirés et les meilleures pratiques proposées. Cette information doit être mise largement à la disposition du pays bénéficiaire, des autres organisations et des chercheurs.

V. POURQUOI UN ACCÈS ÉQUITABLE À LA TERRE N'EST PAS SUFFISANT

39. L'accès équitable à la terre doit représenter un élément essentiel de toute planification réaliste et de l'élaboration des politiques dans les pays. Cependant, comme on l'a vu en introduction, ni l'équité ni l'accès à la terre ne sont seuls suffisants. Il faut que les gens aient accès à des ressources institutionnelles et productives complémentaires telles que financement, formation, marchés ouverts et efficaces, technologies, infrastructure et autres ressources naturelles comme l'eau, pour que les avantages potentiels des droits fonciers puissent se concrétiser.

40. La principale argumentation du présent document consiste à démontrer qu'en assurant aux femmes un accès sûr et efficace à la terre, on offre des possibilités de progrès aux familles, aux collectivités et aux pays, grâce à:

41. Mais ces avantages ne peuvent se concrétiser pleinement que si les stratégies adoptées pour améliorer l'accès des femmes à la terre sont efficaces dans la pratique et si les décideurs savent quelles sont les stratégies qui fonctionnent et celles qui ne fonctionnent pas. Les décideurs doivent connaître la qualité et la répartition des droits à la terre, les obstacles économiques et culturels qui empêchent les femmes d'avoir un accès sûr et efficace à la terre et les avantages qui découleront de l'amélioration de leur accès à la terre. Ils doivent aussi savoir quelles sont les possibilités d'assurer un accès équitable à la terre et être en mesure d'évaluer toutes les conséquences de ces options.

42. À long terme, l'objectif des États Membres des Nations Unies et des organisations intéressées sera de mieux comprendre la dynamique des systèmes fonciers et, plus particulièrement, l'évolution du rôle des femmes dans l'économie rurale. Pour y parvenir et pour recueillir les bénéfices de politiques, programmes et projets plus paritaires et efficaces dans le domaine foncier, il faut rassembler systématiquement le plus d'informations possible sur les femmes et le système foncier. Pour l'instant, ces informations, lorsqu'elles existent, sont réparties entre des bases de données de projet, des études de cas, des statistiques et des registres officiels et toute la documentation des recherches. De nos jours, il apparaît clairement que les réformes foncières sont un moyen d'accroître l'égalité et la production10. Il est indispensable d'assurer aux femmes un accès plus équitable à la terre dans le cadre de la promotion d'une agriculture et d'un développement rural durables, afin d'améliorer l'activité économique pour assurer un meilleur niveau de vie, en particulier du point de vue de la santé et de l'alphabétisation, une meilleure utilisation des ressources naturelles, des réformes durables et une participation populaire et démocratique.

BIBLIOGRAPHIE

Le présent document s'inspire de publications énumérées dans un volume distinct intitulé Women's access to benefits from land and natural resources. A bibliography. Service des régimes fonciers, FAO, Rome, 1999.


1 Ce document est fourni par le Service des régimes fonciers (SDAA) du Département du développement durable de la FAO. Il a été préparé par une équipe coordonnée par Mme Sue Nichols. Vos observations sont les bienvenues.

2 La quatrième Conférence mondiale sur les femmes: lutte pour l'égalité, le développement et la paix, Beijing, 4-15 septembre 1995.

3 La bibliographie relative à cette question est beaucoup trop abondante pour être citée ici, mais on se référera à D. North (1990. Institutions, institutional change and economic performance. Cambridge University Press) pour les effets sur la pensée économique institutionnelle. Hernando De Soto (1993. The missing ingredient. The Economist, 11-17 septembre: 8-10) a fourni des arguments à la fois concrets et accessibles.

4 Ce phénomène est bien illustré par deux récentes publications d'experts des régimes fonciers de la FAO. Voir G. Ciparisse (1998. Accès à la terre pour tous en Afrique noire: une utopie? Réforme agraire, colonisation et coopératives agricoles, , 98(2):45-54); ou J. Riddell (1997. Réformes des régimes fonciers: les nouvelles tendances, p. 63-76. In Politique des structures et action foncière au service du développement agricole et rural, Paris. CNASEA) qui contient une bibliographie fournie des travaux récents.

5 Voir l'exposé sur la manière d'envisager et de traiter les droits "coutumiers" et les droits dérivés sur les ressources naturelles dans les systèmes de gestion des ressources communes. D. Bromley (1991. Environment and economy: property rights and public policy. New York, Blackwell).

6 De nombreuses études montrent que l'application des concepts culturels de "famille" ou de "ménage" d'une société à une autre (y compris dans une même région) peut aboutir à une interprétation erronée de la situation réelle. La signification et par conséquent le contenu social d'un ménage donné sont le produit des relations entre le pouvoir, la classe, les liens affectifs et les idiosyncrasies, aussi bien que des systèmes fonciers. La complexité qui caractérise la question de la parité dans les droits et l'accès des membres d'un ménage aux ressources naturelles est abondamment illustrée dans une bibliographie préparée par le Service des régimes fonciers, intitulée Women's access to benefits from land and natural resources (Rome, 1999).

7 La presse accorde une attention considérable à l'exploitation commerciale d'Amérique du Nord. Néanmoins, une analyse approfondie des données révèle que plus de 80 pour cent des exploitations au Canada et aux États-Unis sont des exploitations familiales. La progression apparente de l'exploitation commerciale au détriment de l'exploitation familiale s'explique par le fait que nombre de familles d'agriculteurs constituent des sociétés familiales afin de bénéficier d'avantages fiscaux et d'autres facilités juridiques offerts par le droit commercial en vigueur.

8 Comme l'a montré Habitat II, ce phénomène s'accentue également dans les villes. La nécessité d'une prise en compte des questions de parité en matière de droits de propriété n'est pas le propre des zones rurales.

9 La FAO expérimente actuellement une méthodologie permettant de mieux comprendre comment et dans quelle mesure les femmes héritent du patrimoine, dans le cadre d'un projet de recherche dirigé par A. Abraham et J.P. Platteau, Université de Namur.

10 Voir J. Stiglitz. 1998 (juillet). Distribution, efficiency and voice: designing the second generation of reforms. Brasilia, Banque mondiale.